3 octobre - 8:57 PM

I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu"un bloc rouge et glacé.

J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? — C'était hier l'été ; voici l'automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté ! mais tout aujourd'hui m'est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
De l'arrière-saison le rayon jaune et doux !
Charles Baudelaire

http://anicroche.cowblog.fr/images/div/AutumnTreebyAngelaT.jpg
 

 
Il fait beau comme tout ces temps-ci, ce n'est peut-être pas trop l'occasion de citer ce poème, mais c'est bientôt le temps des feuilles mortes, même si on est en plein dans l'été qu'on a loupé. Et puis je me connais, si je le sors pas maintenant j'oublierai de le sortir en temps voulu et l'hiver sera arrivé que je le retrouverai dans mon recueil sans pouvoir vous le proposer, faute de saison non adéquate.

12 mai - 10:09 PM

http://anicroche.cowblog.fr/images/div/atthedawnbydeingeld3yaggr.jpg
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

23 avril - 8:14 PM

http://anicroche.cowblog.fr/images/orage.jpg
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

– Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

 
Comment cet homme a-t-il fait pour trouver les mots et les combiner de si jolie façon qu'ils touchent nécessairement le coeur de chacun ? Tout ce qu'il exprime dans ses poèmes est tellement vrai, tellement magnifiquement vrai... jusque là, aucun poète ne m'a jamais parlé autant que Baudelaire, et pourtant on m'en a conseillé de bons. Mais jamais d'aussi bon que lui. 
Dire qu'à la base je voulais faire un article traitant de mon amour pour les orages... chaque fois il faut qu'un vers me revienne en tête et que j'opère la digression du siècle... ah ! Baudelaire, quand tu nous tiens !

24 mars - 9:07 AM

http://anicroche.cowblog.fr/images/walkonwalkonbymrtwingo.jpg

"He Wishes For The Cloths Of Heaven"

Had I the heavens' embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half-light,

I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams;
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.

__________________


"Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le ciel"

Si je pouvais t'offrir le bleu secret du ciel, 
Brodé de lumière d'or et de reflets d'argent,
Le mystérieux secret, le secret éternel,
De la nuit et du jour, de la vie et du temps,
 
Avec tout mon amour je le mettrais à tes pieds.
Mais tu sais, je suis pauvre, et je n'ai que mes rêves,
J'ai déposé mes rêves sous tes pieds,
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves.

7 mars - 10:46 PM

http://anicroche.cowblog.fr/images/cheveux.jpg
Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
  Baudelaire

<< Page précédente | 1 | 2 | Page suivante >>

Créer un podcast