Je les ai trouvés vendredi soir, dans le jardin. Mon père m'a dit qu'ils étaient là déjà le matin. Je n'ai pas eu le courage de les tuer. Avec une vieille boîte de mouchoirs, des paires de chaussettes, du sopalin et des morceaux de coton, je leur ai fabriqué un nid de fortune. Je ne les ai pas nourris, ils allaient mourir. Ils étaient à peine nés. Incapable à la longue de supporter leurs piaillements désespérés pour avoir quelque nourriture, je les ai posés sur la fenêtre ; le froid de la nuit les endormirait et ils mourraient plus rapidement. Samedi matin, l'un d'eux était blanc, mort. Je l'ai déposé dans le fond du jardin, qu'il puisse servir de repas à un chat. Je croyais le second parti aussi, j'ai fermé son bec, mais il l'a rouvert pour réclamer à manger ; l'était donc vivant. En effet il était encore rose. J'ai reposé son petit nid sur la fenêtre, toutes les deux ou trois heures je retournais le voir, mais il n'est mort qu'en fin d'après-midi. Je l'ai déposé près de son frère, sur un petit rocher. A mon grand étonnement l'autre n'avait pas été mangé mais il était étalé bizarrement sur le ventre, un bout de patte déchiré et le bec en sang ; le chat aurait commencé à se régaler mais n'aurait pas fini ?
Dans un élan de fascination morbide j'ai pris les deux petits morts en photo. J'espère que vous ne serez pas choqués. Ni par la photo (qui n'est somme toute pas si mortifiante) ni par le fait que je n'ai pas essayé de sauver les deux oisillons. Dans ma vie j'en ai recueilli des dizaines des piafs tombés du nid, des créatures de quelques jours comme ceux-ci et des plus grands, comme mon Quiin. Quiin était ma tourterelle, je l'avais trouvé quand il était assez petit, avec seulement quelques plumes ; je l'ai nourri, chéri, je lui apprenais à voler petit à petit, avec les moyens du bord... puis un jour je l'ai retrouvé mort, le gosier rempli à éclater ; j'avais simplement oublié le blé près de lui dans sa cage, et il a mangé jusqu'à s'étouffer. Je l'ai énormément pleuré. Les autres oisillons que j'ai pu recueillir comme lui n'étaient que des moineaux de quelques jours, avec aucune chance de survie, mais chaque fois je m'entêtais et essayais de les tenir en vie, vainement. L'un d'eux s'est même fait bouffer par mon chien. Il y a eu Mandibule aussi, un jeune merle déjà bien plumé (mais avec encore un bec de gamin) qui s'est très vite habitué à moi, me prenant pour sa mère, et qui s'entendait très bien avec Ginger (ah ! ma Gin... elle aurait eu six ans aujourd'hui...) ; mais Mandibule est mort dans la nuit, comme ça, sans raison apparente. Voila pourquoi, faute de n'avoir par ailleurs pas été capable d'abréger leurs souffrances, j'ai refusé de nourrir les oisillons vendredi soir. Je leur ai simplement fredonné un refrain en boucle, le temps qu'ils ont passé dans ma chambre, alors que je les regardais tendrement et tentais de leur apporter un minimum de chaleur avec ma main, avant de les abandonner à la mort.
"I hear you calling me, there's nothing i can do.
I hear you calling me, to answer back to you..."